Les louveteaux (partie 15)

Point de vue de Re'eich:

Je leur lançais un sourire triomphal et nargueur.

"Cette Shû n'a pas l'air méchante, elle a même plutôt l'air sympa. Mais si je n'ai pas cette attitude envers eux, tous le monde me rejette. Je finirais ma vie seul, sans personne qui m'accepte, seulement des gens qui m'insultent et me mordent. Ça m'est déjà arrivé étant petit, et je n'ai pas supporté. Alors je me suis hissé au poste de chef avec de la force et de la ruse, en étant indiscutable, froid, cruel.

Ce n'est pas ma vraie nature, mais je ne supporte pas qu'on me rétrograde au rang de moins-que-rien. C'était traumatisant d'être tout le temps en train d'être embêté. La seule façon de pas être souffre-douleur, c'est d'être embêteur. Un embêteur rusé, avec des phrases qui claquent, permettant de griffer un loup sans même le toucher, ou un embêteur fort en combat, permettant de détériorer l'état physique de l'adversaire, pour pouvoir plus facilement le manipuler. Je m'efforce de garder ça ancré dans mon petit cerveau. Je n'y arrive pas. J'ai toujours des scrupules.

Mais je ne peux pas en avoir ! Si j'en avais, on me frapperait et on m'embêterait jusqu'a ce que je n'en puisse plus. J'ai déjà subi ça, et je ne le supporte pas. Avant, hier par exemple, personne ne me résistais. Ou, du moins, personne ne réussissais à me résister.

Et puis, Shû vient d'arriver, semant le trouble dans ma tête. Elle n'a pas l'air  pas méchante, elle se défend juste.

Elle est forte en combat et a repéré du premier coup d'oeil la faiblesse de mes équipiers. Et pourtant, elle n'est pas embêteuse, juste... résistante, forte et elle aussi a des phrases qui claquent. Mais elle ne se sert pas de ses talents pour être embêteuse. Plutôt pour faire le bien.

Et elle arrive quand même à se faire remarquer, et est entourée par de vrais amis. Une de ses amies est Lu'une. Cette dernière doit bien me détester," maintenant, soupirais-je mentalement.

J'aurais aimé me faire remarquer d'elle ! C'était fait, mais de la mauvaise façon. Elle ne m'aimerait plus jamais jamais. C'était impossible. Pas après ce que j'avais fait à son amie.

Je ne savais pas qu'elles se connaissaient ! Sinon je les aurais laissés passer, Goupil et Shû. Mais quand Lu'une était intervenue, j'ai senti mon coeur se briser, cette étrange lueur dans ses yeux quand elle m'a regardé...

-"Bon! Tu rêvasse ou on combat? On a pas l'éternité devant nous!" s'exclama Shû d'un ton cinglant.

Mais ses yeux n'étaient pas moqueurs. On aurait plutôt dit qu'elle essayait de m'analyser.

-" On combat bien sûr! Prépare toi à une cuisante défaite!" lui répondit-je sur le même ton.

Ah ah! J'avais bien choisi le terrain.Une rivière le traversais en plein centre, bordée seulement par deux étroites bandes de terre bordées elles-même par de grands arbres dont les branches se rejoignaient et se touchaient, ne laissant passer que peu ou pas la lumière du soleil. Les racines de ces mêmes arbres allaient vers le centre de la rivière, solides au point de pouvoir supporter le poids d'un loup. Mais d'un loup équilibriste. Les racines étaient puissantes, mais assez fines.

-"Goupil et moi voudrions voir un petit quelque chose sur les arbres avant de commencer le combat."intervint mon adversaire.

-"Euh... d'accord." leur autorisais-je, intrigué.

Shû et goupil se postèrent chacun sur une rive et commencèrent à planter leurs griffes dans le tronc des arbres. Ces dernières (les griffes, pas les arbres) étaient épaisses et crantées, contrairement aux nôtres (de griffes) qui étaient fines et recourbées, faites exprès pour éviter que le poisson nous saute des pattes quand on l'attrape. Allez savoir pourquoi leur griffes étaient comme ça. Bizarre.

-"C'est bon!" intervinrent exactement en même temps mes deux ennemis (enfin, ennemis, peut-être le mot est-il trop fort?).

Ces derniers avaient laissés la trace de leurs griffes sur tous les troncs dont les branches se touchaient au dessus de la rivière.

-"Enfin! Allons nous poster dans la rivière, les gars." lançai-je à mes équipiers.

Ils m'obéirent mécaniquement et allèrent se poster dans la rivière. J'avais toujours trouvé ça glauque qu'ils m'obéissent au doigt et à l'oeil, comme ça, sans discuter mes ordres. On aurait dit que j'étais un saigneur (pas un seigneur! un saigneur) diabolique qui contrôlait ses sujets grace à la magie noire. Beuh. Trop glauque. Je rentrais dans l'eau à mon tour. J'adorais nager, plonger, tourbillonner dans les rivières en été. C'était vraiment agréable. Je me sentais vraiment dans mon élément.

Triple zut! J'avais oublié que dans le plan que j'avais échafaudé dans ma tête me faisait combattre sur la berge au début.

Je ressortis de l'eau, tout ruisselant. Lu'une et Ja'anin avaient plongé pour aller combattre mes équipiers et Goupil était parti sur l'autre rive, tout anxieux et tremblant, comme d'habitude.

Shû et moi nous toisèrent longuement, froidement. Je devrais normalement avoir le dessus, étant donné que j'avais appris à pêcher sur un étroit rocher, j'avais donc un sens de l'équilibre plus développé. Sur un bande de terre aussi fine, il serait donc normal que je gagne. Je la regardais le plus méchamment possible.

Parfois, cela suffisait pour désarçonner l'adversaire. "Pas aujourd'hui, apparemment", pensais-je amèrement.

Soudainement, Shû attaqua. Vive telle un serpent elle enchaînait les coups sans fatiguer et sans en recevoir un seul. Destabilisé par cette tactique foudroyante, je plongeais dans l'eau et allais me poster près de l'une des plus grosses racines pour pouvoir m'appuyer dessus sans trop me fatiguer à faire du sur-place.

Goupil échangea alors un coup d'oeil avec Shû, puis, tous les deux en même temps, chacun sur une rive, ils escaladèrent l'arbre qui était le plus près d'eux. C'était à ça alors que servaient leurs griffes crantées ! Les deux loups roux grimpaient sur leurs troncs respectifs à une telle vitesse qu'ils atteignirent bien vite les premières branches. Ils continuèrent à sauter de branche en branche tels des écureuils, échangeants coups de queue, se croisant, se recroisant, montant, descendants dns l'arbre avec un certain rythme. On aurait dit que le temps s'arrêtait pour nous permettre d'admirer plus longtemps cette sorte de danse étrange. C'était beau.

Le soleil, qui commençait à se coucher, créait un jeu de lumière rougeoyant et étincelant, qui rendait ce spectacle encore plus fascinant. Shû et Goupil avaient commencé à effectuer des cercles de plus en plus petits dont je paraissais être le centre. Je compris, mais trop tard, ce que Shû essayait de faire. Elle avait déjà sauté et atterri sur la grosse racine sur laquelle je m'appuyais, et m'avait attrapé par le peau du coup. J'acceptais sans rechigner ce nouveau fait qui m'était présenté: j'avais perdu.

Point de vue de Shû:

 Je tirais Re'eich sur la terre ferme et le plaquais au sol sans aucun effort. Pour une raison que j'ignorais, il ne se débattait même pas.

Quand je me rendit compte qu'il n'avait aucune intension de continuer à combattre, je le laissais se relever.

-"Quelles sont tes conditions?" me demanda-il.

Je les avais fixées dans ma tête pendant le trajet:

-" Je voudrais que tu arrête d'embêter les autres, de tenir des propos mysogines ou racistes, et j'aimerais te laisser une chance. J'ai repéré que tu manquais beaucoup de confiance en toi. Tu n'as pas de vrais amis et tu essaie de te faire remarquer, malheureusement sans y arriver correctement. Tu aimerais avoir une personne qui te soutienne, qui t'aide, qui te serve de pilier pour que tu puisse faire le bien, et non le mal."

Que c'est facile d'analyser les gens ! Je voyais à sa tête étonnée  que j'avais raison.

Je repris d'un ton serein, en pensant à la droitesse, à la justesse et au calme permanent de ma mère:

-"Je te propose donc de devenir mon ami."

A suivre...